Emine Çolak (Chypre), membre du RFMM, a pris part avec sept autres expertes internationales à une réunion organisée par la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LIFPL) au Cameroun. Cette rencontre a eu lieu du 26 septembre au 4 octobre 2019 dans plusieurs localités du pays africain et dans le cadre du projet « Analyse des conflits de genre ».

Retrouvez ci-dessous son témoignage :

J’ai accepté une invitation au Cameroun de la part de la Ligue internationale des femmes pour la paix et les libertés (LIFPL).

Le projet, mis en œuvre en juillet 2019, est mené par la plateforme « Femmes camerounaises pour des élections pacifiques et l’éducation à la paix » et ses partenaires. Il a pour objectif la recherche de solutions pacifiques et durables à travers l’ analyse des dynamiques des conflits camerounais dans une perspective de genre et de recueillir les contributions des acteurs internationaux sur des solutions durables vis-à-vis des différentes crises en cours dans le pays.

Dans le cadre de ce projet, WILPF mène une recherche participative pour mieux comprendre les lignes de faille actuelles qui alimentent les conflits et provoquent une instabilité générale. En outre, WILPF et ses partenaires vont entreprendre des activités de recherche dans les régions à la fois touchées par le conflit et dans celles qui ne le sont pas afin d’identifier les dirigeants communautaires, les personnes déplacées et d’autres individus capables de discuter de la crise à laquelle le pays se trouve confronté.

Une fois achevé, le projet produira un rapport qui sera utilisé conformément aux objectifs de la résolution 1325 des Nations Unies pour rechercher l’inclusion des femmes dans les processus de paix et ajouter une sensibilité de genre au contenu des décisions et des politiques pour la paix et la stabilité.

Les conflits au Cameroun se poursuivent depuis 3 ans. La crise a débuté en 2016, à la suite de la répression du gouvernement francophone à l’égard des manifestations pacifiques dans les régions anglophones. Les manifestants protestaient contre la discrimination présumée du gouvernement francophone lequel, en réponse, a procédé à des arrestations massives. Au cours de ces évènements, les forces de sécurité ont en outre abattu plusieurs manifestants. En réaction à cela, le mouvement de protestation s’est radicalisé, en prenant les armes et menant des attaques meurtrières contre des postes de l’armée et de la police. L’armée a réagi brutalement contre les habitants des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

La soi-disant crise anglophone a fait plus de 3 000 morts et environ 500 000 déplacés. Les affrontements qui suivirent les élections présidentielles (octobre 2018) ont vu l’emprisonnement de nombreux leaders de l’opposition, tels que Maurice Kamto, leader du principal parti d’opposition camerounais qui pourrait être condamné à la peine de mort pour avoir mené des manifestations contre les résultats des élections.

Le conflit camerounais est en train de croître en brutalité. De multiples meurtres et tortures sont perpétrés et des villages ont été brûlés, provoquant ainsi des déplacements et un exode massifs. Des dizaines de milliers de personnes ont fui vers le Nigeria ou se sont réfugiées au Cameroun francophone. Les attaques contre les écoles et les bâtiments gouvernementaux ont privé les enfants de scolarisation pendant trois ans et les citoyens de papiers d’identité de l’État.

Avant notre arrivée à Yaoundé, nous avons appris que le président Paul Biya avait appelé à un dialogue national et déclaré que celui-ci devait « permettre d’examiner dans le cadre de la constitution du Cameroun les voies et moyens par lesquels satisfaire les espoirs profonds des populations du Nord et du Sud-Ouest, mais également de toutes les autres parties de notre nation ».

Bien que certains critiques aient décrit l’initiative de Biya comme un « monologue » peu sincère auquel n’auraient assisté que les partisans de la direction, notre hôte, la WILPF Cameroun, y a vu une occasion pour les femmes d’être proactives et de réclamer l’inclusion. Les femmes locales ont réagi rapidement en créant une plateforme de consultation et en produisant un mémorandum signé par 53 organisations.  Leur réponse a été inspirante à observer et – en tant que délégation de la WILPF – nous sommes arrivées à temps pour apporter des contributions mineures à ce texte impressionnant, peut-être le seul de ce genre à avoir été soumis au dialogue national. [1]

Lors de notre visite au Cameroun, nous avons eu l’occasion de nous rendre à Yaoundé, Baffousam, Dschang et Doula. A chaque endroit nous avons été accueillies par des organisations de femmes locales. Nous avons rencontré des personnes déplacées vivant dans des conditions désastreuses, des victimes traumatisées par des meurtres, des tortures, des intimidations et enlèvements de proches en échange de rançon. Nous avons rencontré des enfants attristés d’être privés d’éducation et des enseignants menacés et punis pour avoir tenté de faire leur travail. Nous avons appris qu’un bon nombre avait fui dans la « brousse », se cachant ainsi dans la jungle pour survivre. Dans « la brousse », ils sont privés des besoins fondamentaux, exposés à toutes formes de danger et de maladie : ils vivent, comme ils disent, « comme des animaux, comme des singes ». Cependant, la recherche de la survie dans les villes peut s’avérer bien plus dangereuse : en l’absence de documents officiels, les gens sont facilement discriminés ou exploités. De nombreuses femmes en désespoir de cause peuvent se retrouver dans la prostitution pour survivre. Celles qui ne sont pas déplacées, sont prises au piège entre l’intimidation et la violence, ne sachant que faire pour leur sécurité dans un environnement d’anarchie et de peur.

À la fin de notre mission, nous nous sommes senties privilégiées d’avoir eu la chance de collaborer avec des personnes engagées et compétentes qui avaient su répondre à nos besoins pratiques, nous permettant ainsi d’apporter une contribution directe par le biais de séances de débriefing et de brainstorming fréquentes en cours de route. Avant de repartir, nous avons soumis à nos hôtes camerounais un rapport de nos impressions et recommandations en espérant qu’il leur soit utile dans la rédaction de leur rapport global.

Comme dans tous les conflits violents, il n’y aura pas de solution rapide et facile aux problèmes du Cameroun. Mais la solidarité et la synergie des femmes camerounaises qui, de toute évidence, pourraient travailler en bonne coordination, avec rapidité et efficacité, est une grande bénédiction pour leur pays et un exemple précieux auquel s’inspirer dans le cadre du réseau des femmes médiatrices.

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